Affaire Abbé Pierre
Le cri de révolte de Christian Bos contre le silence complice et l’amateurisme de « l’enquête »

L’affaire Abbé Pierre : La faiblesse méthodologique de l’enquête sur l’abbé Pierre publiée par Emmaüs.
L’analyse de Christian Bos, fondateur de l’école nationale des enquêteurs en risques professionnels (ENERP).

Abbé Pierre photographié par ©Studio Harcourt Paris (Licence CC BY 3.0)

Une procédure post-mortem à charge

L’affaire des allégations de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles contre l’abbé Pierre, révélée au grand public par le Mouvement Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre, par la publication d’un « rapport d’enquête », suscite en moi un profond sentiment de révolte.

Mes considérations ne porteront pas sur le bien-fondé de ces accusations, et encore moins contre les victimes, dont les souffrances doivent être reconnues et entendues. Mais uniquement sur la manière dont elles ont été recueillies par une enquêtrice partiale et engagée. Ce qui provoque une enquête bâclée et à charge du fait de la méthodologie de l’enquête et du silence complice de ceux qui savaient. Cette analyse critique vise à dissocier le fond de l’affaire de la forme de cette enquête.

Affaire Abbé Pierre, de quoi parle-t-on ?

Le 17 juillet 2024, Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre ont publié un rapport faisant état de sept témoignages de femmes mettant en cause l’Abbé Pierre pour des faits pouvant être qualifiés d’agressions sexuelles. Le commentaire des commanditaires du rapport est sans appel. « Ces révélations bouleversent nos structures, ces agissements changent profondément le regard que nous portons sur un homme connu avant tout pour son combat contre la pauvreté, la misère et l’exclusion ».

La sidération est totale, la condamnation des agissements de l’Abbé Pierre – autrefois personnalité préférée des Français – est unanime. Qu’il s’agisse de l’Église catholique, de la classe politique, des médias et de l’opinion publique.

Vers la fin des années 1970, une jeune fille de 17 ans aurait été victime d’attouchements à la poitrine de la part de l’Abbé Pierre. Un demi-siècle plus tard, en juin 2023, elle contacte Emmaüs France et relate ces faits. Son témoignage est recueilli par Véronique Margron, sœur dominicaine, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF), qui le transmet aux instances dirigeantes d’Emmaüs.

Le document présenté par Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre sur les accusations de harcèlement sexuel à l’encontre de l’abbé Pierre est qualifié de rapport, mais il ressemble davantage à un rédactionnel, manquant de rigueur et de professionnalisme. Plusieurs aspects méritent d’être soulignés pour mettre en lumière les faiblesses méthodologiques de ce document.

Abbé Pierre photographié par ©Wim van Rossem
(Licence CC0)

Nature du document

Le document en question appelé « rapport d’enquête »  manque de la structure et de la rigueur attendues d’un véritable rapport d’enquête. Il s’apparente plus à une compilation de témoignages qu’à une analyse approfondie et objective des faits. Cette approche rédactionnelle affaiblit la crédibilité du document et soulève des questions sur la méthode employée.

Position ambiguë de la fondation

La Fondation Abbé Pierre se trouve dans une position délicate, contrainte de reconnaître la souffrance des personnes qui se sont manifestées sans pour autant pouvoir affirmer la culpabilité de l’abbé Pierre de manière catégorique. Cette position ambivalente reflète une tentative de répondre aux attentes des victimes présupposées tout en ménageant la mémoire d’une figure emblématique. Cependant, cela ne suffit pas pour établir une vérité claire et étayée par des preuves. N’oublions pas que ces structures vivent de dons, et il ne serait pas surprenant que les responsables hésitent à scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Absence de preuves tangibles et de respect du contradictoire

Un des points les plus préoccupants de ce « rapport d’enquête »  est l’absence de preuves factuelles. Aucun document ou élément matériel ne vient corroborer les accusations, ce qui est indispensable dans toute enquête sérieuse. Se baser uniquement sur des témoignages, sans confrontation ou vérification, limite considérablement la validité des conclusions présentées.

Le principe du contradictoire, fondamental en matière de justice, n’est pas respecté. Étant décédé, l’abbé Pierre ne peut se défendre ni apporter sa version des faits. Le rapport ne semble pas avoir cherché à recueillir des éléments qui pourraient contredire les accusations. Ce qui est essentiel pour une enquête équilibrée et équitable.

Présomption d’innocence et statut de victime

Il est alarmant de constater que le rapport et la couverture médiatique qui l’entoure, notamment par des médias comme Mediapart, semblent ignorer le principe de présomption d’innocence. Parler de « victimes présumées » ce qui est sémantiquement faux car on est présumé innocent et pas victime et encore moins présumé coupable, avant toute décision judiciaire est un grave manquement. Ce statut de victime ne peut être attribué que par une juridiction compétente après un examen minutieux des faits et des preuves.

Ce document, en raison de ses nombreuses lacunes, devrait plutôt inciter les victimes présupposées à saisir les juridictions compétentes. Seule la justice, à travers ses procédures rigoureuses et impartiales, est habilitée à reconnaître la culpabilité et à attribuer le statut de victime. La reconnaissance publique de la souffrance doit être accompagnée d’une démarche judiciaire pour garantir l’équité et la justice.

Le silence complice, une condamnation sans réserve

Ce qui est véritablement révoltant dans cette affaire, au-delà des accusations elles-mêmes, c’est le silence complice de ceux qui savaient et qui n’ont rien dit. Les excuses telles que « nous ne pouvions rien faire » ou « c’était connu » sont insupportables. Ces personnes, par leur inaction, ont participé et contribué à la souffrance des victimes. Il est trop facile aujourd’hui de prétendre qu’il était impossible d’agir.

Ce silence n’est rien d’autre qu’une complicité passive, voire active, qui doit être condamnée. Ces individus doivent être identifiés, nommés et tenus responsables de leur manque de courage et de leur défaillance à protéger les victimes. Leur condamnation pour non-assistance à personne en danger doit être exemplaire pour souligner la gravité de leur faute.

Réflexion sur les dons et la transparence financière

Si certains avaient dans l’idée de toucher par l’appel à l’émotion du public (le pathos) pour récupérer des fonds de certains donateurs, je ne peux qu’inviter ces donateurs à réfléchir au fait que ces fonds pourraient peut-être également servir à rembourser le préjudice que les victimes ont subi et le coût de cette enquête qui apparemment ne fait que commencer. Il est essentiel de garantir que les contributions financières servent à des fins justes et transparentes. Et non à susciter l’émotion publique pour des gains financiers.

J’encourage fortement les victimes à poursuivre leurs démarches au-delà de simples excuses publiques. Il est essentiel qu’elles cherchent une justice pleine et entière par le biais des tribunaux compétents, assurant ainsi que leurs voix soient entendues de manière appropriée et que les coupables soient dûment sanctionnés.

Un regard critique sur le cabinet Égaé

Depuis la publication de ce rapport sur l’affaire Abbé Pierre, il était impératif d’analyser le cabinet Egaé, responsable des investigations ainsi que sa cofondatrice Madame Caroline De Haas, qui n’est pas étrangère aux controverses. L’agence de conseils en égalité professionnelle propose des formations contre les violences sexuelles et en accompagnant des structures dans des cas de violences identifiées sans mettre en avant sur son site une spécialisation dans le domaine des « enquêtes ».

Le cabinet Egaé est un cabinet de conseil et de formation créé en 2011 par Caroline De Haas. Il propose des formations et sensibilisations en matière de « conseil, de formation et de communication experte de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la lutte contre les discriminations, de la diversité et de la prévention des violences sexistes et sexuelles ». Il compte 28 consultants et ses prestations sont réalisées auprès des entreprises et des administrations. Parmi lesquelles on compte la Justice, la Police Nationale etc… Cette agence soulève des questions sérieuses quant à l’impartialité de ses enquêtes. Surtout au vu de l’orientation politique et du militantisme revendiqué par sa co-fondatrice.

L’empreinte militante de la fondatrice

Madame Caroline De Haas se présente sur Linkedin comme « cheffe d’entreprise, féministe, activiste ». Elle a créé en 2009 « Osez le féminisme » puis le collectif contre les violences faites aux femmes « Nous Toutes ». Son parcours est déjà un manifeste en soi. En 2012, en tant que conseillère chargée des politiques féministes au sein du cabinet ministériel de Najat Vallaud-Belkacem, elle a fait adopter un texte obligeant les institutions publiques à financer des formations contre le harcèlement sexuel – une initiative qui lui sera bien utile quelques années plus tard. Ce parcours révèle un engagement militant fort, très fort, trop fort peut-être, qui pose en tous les cas de sérieuses questions sur sa capacité à mener des enquêtes avec la neutralité nécessaire.

Des déclarations controversées et des méthodes douteuses

Les déclarations de Madame De Haas ont souvent été au cœur de la polémique. En 2017, candidate aux élections législatives, elle proposait d’« élargir les trottoirs » pour lutter contre le harcèlement de rue. En 2018, dans une interview à L’Obs, elle affirmait qu’« un homme sur deux ou trois est un agresseur ». Des propos non seulement choquants mais également sans fondement scientifique, révélant une tendance à l’exagération et au sensationnalisme.

En 2022, elle déclarait sur le réseau social X que « la police nationale et la justice sont des institutions anti-femmes et anti-enfants », tout en formant les membres de ces institutions à la compréhension des violences au sein du couple. Cette contradiction flagrante démontre une incohérence dans son discours et ses actions.

Ces déclarations et son parcours militant soulèvent une question cruciale. Madame De Haas était-elle vraiment la personne adéquate pour mener une enquête d’une telle importance ? Son passé, ses propos incendiaires et ses activités politiques jettent un sérieux doute sur sa nécessaire neutralité d’enquêtrice, indépendante et impartiale. En outre, son inclination à politiser les enjeux déstabilisent la crédibilité du rapport et laissent planer un doute sérieux sur les véritables motivations derrière cette enquête.

Un appel à la vigilance

Il est impératif pour les lecteurs de cet article de prendre conscience que Caroline De Haas, de par son passé, ses propos et ses engagements, n’était absolument pas la personne adéquate pour mener cette enquête. Les méthodes, le manque de professionnalisme et l’absence de neutralité de son cabinet entachent, à mon sens, la crédibilité des résultats présentés. Cette situation nous rappelle l’importance de choisir des enquêteurs vraiment indépendants, neutres et impartiaux pour garantir la justice et la vérité.

La conclusion sur l’affaire

Pour conclure, cette analyse critique révèle les nombreuses lacunes méthodologiques de l’enquête et les implications éthiques problématiques de la communication autour de ce rapport. Il est crucial que toute démarche visant à éclaircir des allégations aussi graves soit conduite avec la plus grande rigueur, transparence et respect des principes de justice. La Fondation Abbé Pierre et le Mouvement Emmaüs doivent revoir leur approche pour garantir une enquête véritablement équitable et crédible, tout en reconnaissant et en condamnant le silence complice qui aurait permis ces abus.

Pour les professionnels de l’enquête, il est grand temps de s’élever contre ces pratiques amateures. Nos rapports doivent être irréprochables, fondés sur des preuves solides et respectant les principes fondamentaux de justice, sous peine d’engager notre responsabilité professionnelle. Nous ne pouvons plus tolérer que des enquêtes bâclées et/ou partiales soient utilisées pour condamner ou disculper sans un examen rigoureux. Notre responsabilité est immense, et nous devons garantir la qualité et l’intégrité de notre travail.

En fin de compte, il est urgent que nous, en tant que société, exigions des enquêtes menées avec rigueur, transparence et impartialité, sans influence de militants avec des agendas politiques. Nous devons protéger l’intégrité des procédures d’enquête pour que la vérité et la justice prévalent. Les méthodes controversées, le manque de professionnalisme et l’absence de neutralité des enquêtes entachent gravement la crédibilité des résultats présentés. Cette situation souligne l’importance de choisir des enquêteurs vraiment indépendants, neutres et impartiaux pour garantir la justice et la vérité.

3 Commentaires

  1. Voilà une plaidoirie qui remet l’église au milieu du village concernant les « responsables  » emmaus dont 1 … énarque, il y a de quoi s’inquiéter !
    Et si on regardait de plus près certains jugements, audits de tout poil …. et qu’on se questionne sur qui commande et à qui ça profite ??

    Réponse
  2. Excellente lettre qui éclaire bien ce que doit être un processus d’enquête rigoureux et les conséquences d’un manque de respect de ce processus, tant pour les victimes que pour la société.

    Réponse
  3. Analyse extrêmement perspicace soulevant des points essentiels avec rigueur. L’importance de la méthodologie et de l’éthique ont été brillamment mis en lumière tout en soulignant la responsabilité professionnelle des enquêteurs. Votre appel à une conduite rigoureuse et impartiale est nécessaire pour garantir la crédibilité et la justice. Une réflexion qui mérite d’être largement partagée et adoptée. Merci pour cette contribution éclairante et nécessaire.

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